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Lettre ouverte à George W. Bush - 2002

LETTRE OUVERTE À GEORGE W. BUSH, 2002

Le 18 octobre 2002, Sean Penn achète une page dans le Washington Post (pour 56 000 dollars), et y publie une Lettre ouverte au président des États-Unis, George W. Bush, contre l'imminente intervention en Irak.

Lettre originale en anglais : "An Open Letter to the President of the United States of America" >>

La lettre est ensuite parue en français dans le journal  Le Monde (Traduction de Geneviève Carcopino) :


Monsieur Bush,

Comme vous, je suis père de famille et américain. Comme vous, je me considère comme un patriote. Comme vous, j’ai été horrifié par les événements de l’année passée, inquiet pour ma famille et pour mon pays. Cependant, je ne crois pas en une vision simpliste et provocatrice du bien et du mal. Je crois en ce vaste monde peuplé d’hommes, de femmes et d’enfants qui luttent pour manger, pour aimer, pour travailler, pour protéger leur famille, leurs croyances et leurs rêves. Mon père, comme le vôtre, a été décoré pour avoir combattu pendant la Seconde Guerre mondiale. Il m’a élevé avec la profonde conviction que la Constitution et la Déclaration des Droits doivent s’appliquer à tous les Américains qui se sacrifient pour leur sauvegarde et, par principe, à tous les êtres humains.

Beaucoup de vos actions entreprises ou proposées aujourd’hui semblent violer tous les principes déterminants de ce pays dont vous êtes président: l’intolérance du débat («avec nous ou contre nous»), la marginalisation de vos détracteurs, l’encouragement de la peur par une rhétorique infondée, la manipulation de médias prompts à vous donner satisfaction et la position prise par votre gouvernement concernant la réduction des libertés civiles... Tout vient contredire l’âme même du patriotisme que vous revendiquez. Vous tenez apparemment votre rôle de dirigeant avec un sens prononcé de la famille. Regardez de près les médias qui vous soutiennent le plus ardemment. Voyez la peur dans leurs yeux, tandis qu’ils clament haut et fort leur soutien d’une voix qui cache mal, sous le masque d’un «franc-parler inflexible», ce courant sous-jacent de fureur et de panique historiquement désastreux. Nous sommes désormais bien loin de comprendre ce que signifie tuer un homme, une femme, un enfant, sans parler des «dommages collatéraux» pour des centaines de milliers d’êtres humains. Vous parlez souvent «d’un nouveau type de guerre» en accompagnant ces mots d’un étrange sourire. Je trouve inquiétant que ce que vous nous demandez c’est d’abandonner toutes les précédentes leçons de l’Histoire pour vous suivre aveuglément dans le futur. Je suis inquiet parce qu’avec les meilleures intentions de votre part, un énorme excédent économique a été gaspillé. Votre gouvernement a pratiquement rejeté tous les problèmes environnementaux les plus fondamentaux. Pour nous cela signifie implicitement que, puisque vous voulez apparemment sacrifier les enfants du monde, vous voulez aussi sacrifier les nôtres. Sachant que telle ne peut être votre intention, je vous en prie, monsieur le président, écoutez Gershwin, lisez des chapitres de Stegner, de Saroyan, les discours de Martin Luther King. Pensez à l’Amérique. Souvenez-vous des enfants irakiens, de nos enfants et des vôtres. Il ne peut y avoir de justification des actions d’Al-Qaida. Jamais. Ni d’acceptation de la brutalité criminelle du tyran Saddam Hussein. Pourtant, répondre aux bombardements par des bombardements, à la mutilation par la mutilation, au meurtre par le meurtre, voilà un modèle auquel seul un grand pays comme le nôtre peut mettre un terme. Seulement on ne peut pas s’empresser d’abandonner ses principes tout en feignant de les respecter.

Eviter la guerre tout en assurant la sécurité nationale n’est pas une tâche simple. Mais vous n’avez certainement pas oublié que nous, les Américains, avons eu autrefois un petit problème de missiles à Cuba. La retenue de M. Kennedy (et celle du capitaine de sous-marin nucléaire Arkhipov) doit servir d’exemple. Les armes de destruction massive sont à l’évidence une menace pour le monde entier, quels qu’en soient les détenteurs. Mais en tant qu’Américains, nous devons nous interroger: puisque leur éventuelle détention par M. Hussein ne menace pas seulement notre pays (en fait sa technologie de lancement n’est probablement pas encore à un niveau de sophistication si élevé), c’est donc dans sa propre région qu’il y a les meilleures raisons de s’inquiéter. Mais alors pourquoi les Etats-Unis sous votre gouvernement font-ils partie de la petite minorité des nations du monde prédisposées à mener une attaque militaire préventive contre l’Irak?

En d’autres termes, monsieur le président, réintroduisons les équipes d’inspection pour entraver la capacité offensive. Nous gagnons du temps, nous maintenons nos principes chez nous et à l’extérieur, et nous nous imposons un esprit inventif afin d’être le muscle diplomatique le plus fort de la planète, voire de l’histoire de la planète. Les réponses viendront. Vous êtes un homme de confiance, mais votre sabre ébranle la confiance de nombreux Américains à votre égard.

Je saisis bien l’énorme difficulté de votre tâche en ce moment et je me mets à votre place. Père de deux jeunes enfants qui vivront dans un monde façonné par les décisions cruciales prises aujourd’hui, je n’ai pas le choix, je suis obligé de croire que vous pouvez finalement être un bon président. C’est l’Histoire qui vous a offert ce destin. Aussi, monsieur, encore une fois je vous en prie, faites tout pour sauver l’Amérique afin de ne pas nous laisser en héritage la honte et l’horreur. Ne détruisez pas l’avenir de nos enfants. Nous vous soutiendrons. A vous aussi de nous soutenir, nous vos concitoyens américains, et de soutenir finalement l’humanité.

Défendez-nous contre le fondamentalisme à l’extérieur, mais ne fermez pas les yeux sur celui qui se manifeste dans une citoyenneté diminuée par la perte des libertés civiles, dans le renforcement dangereux de l’autorité présidentielle par les lois du Congrès, et dans la conviction erronée et omniprésente de ce pays que sa «destinée manifeste» est d’être le gendarme du monde. Nous savons que les Américains ont peur et sont en colère. Cependant, sacrifier des soldats américains ou des civils innocents dans une attaque préventive sans précédent sur une nation souveraine isolée risque fort de n’être en définitive qu’un remède très provisoire. En revanche, si vous exploitiez en toute confiance ce que ce pays offre de meilleur pour soutenir votre rôle éminent de représentant d’un Etat américain fort, réfléchi et cultivé, votre triomphe a toutes les chances d’être de longue durée. Telle est la voie qu’il faut suivre, monsieur le président. Nous serons alors à vos côtés.

Veuillez agréer, monsieur le président, l’expression de mes respectueuses salutations.

Sean Penn


Lettre originale en anglais : "An Open Letter to the President of the United States of America" >>

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