Résumé par Jacques Lanctôt de l'article "A Mountain of Snakes" écrit par Sean Penn en 2008.
Le comédien et réalisateur étasunien Sean Penn, oui, celui-là même qui joue dans le film Milk, revient d’un court voyage au Venezuela et à Cuba où il a pu s’entretenir avec les plus hautes autorités de ces deux pays, Hugo Chávez et Raúl Castro. Ce n’est pas la première visite que le comédien, reconnu pour ses prises de position en faveur de la paix et de la justice sociale, effectue dans ces deux pays. Pendant la récente campagne électorale aux États-Unis, celui qui allait devenir vice-président, Joe Biden, avait déclaré que son pays «ne pouvait plus dépendre, pour ses approvisionnements en pétrole, de l’Arabie saoudite ou d’un dictateur vénézuélien.» Pour Sean Penn, Chávez, ce président élu à plusieurs reprises, n’avait rien d’un dictateur. Pour se convaincre qu’il n’a pas changé depuis sa dernière visite, qui remonte à 2006, il décide donc de retourner au Venezuela. Mas à ses yeux, un tel voyage ne serait complet sans une visite à Cuba, pour y rencontrer le nouveau président, le frère de Fidel Castro, avec lequel il s’est déjà entretenu. Comme on a peu parlé de ces deux voyages dans les médias, j’ai cru bon de résumer le compte rendu que le comédien en a fait dans le journal The Nation du 25 novembre dernier, et repris en espagnol sur le site rebelion.org, en omettant volontairement tous les aspects matériels et autres détails plus ou moins utiles. Sean Penn était accompagné d’un professeur d’histoire et d’un journaliste du magazine Vanity Fair. Lorsque le trio est arrivé au Venezuela, le pays était en pleine campagne électorale. La gauche et la droite s’affrontaient durement pour le contrôle de la majorité des villes du pays. L’emploi du temps du président Chávez était fort chargé, comme on peut l’imaginer. Malgré tout, il a accueilli dès leur arrivée les trois Nord-Américains qui ont pu l’accompagner pendant quelques jours lors de ses multiples déplacements, réunions et bains de foule. Ils ont découvert un homme politique hors du commun, qui multiplie les rencontres avec la population sans jamais se lasser. «Il dort à peine quatre heures par jour. Et lorsqu’il se lève, très tôt le matin, sa première activité est de lire les bulletins de nouvelles.» Vêtu de ses deux chemises rouges, couleur de la révolution, il se lance ensuite dans l’action pour ne plus s’arrêter jusqu’à tard dans la nuit. «Il semble inépuisable malgré la chaleur et l’humidité extrêmes.» Tous trois ont été fort impressionnés par sa performance. «Son anglais semble soudainement s’améliorer lorsqu’il se met à parler de baseball», ajoute Sean Penn, qui reconnaît qu’il revient rapidement à l’espagnol lorsqu’il s’agit de parler de choses plus sérieuses. Pour Chávez, il ne fait pas de doute que la doctrine Munroe a fait son temps en Amérique latine et que «plus personne ne pourra débarquer ici pour s’emparer de nos ressources naturelles», dit-il tout de go à ces trois hommes venus d’un pays dont le gouvernement a néanmoins, dans ses cartons, un véritable plan pour envahir le premier producteur de pétrole de cet hémisphère. Questionné sur ce qui le différencie de son ami Fidel Castro, il répond: «Fidel est communiste. Moi, je suis un social-démocrate. Fidel est marxiste-léniniste, moi pas. Fidel est athée, moi je suis croyant. Un jour, Fidel et moi avons discuté de Dieu et de Jésus-Christ. J’ai dit à Castro que je suis chrétien et que je crois dans les Évangiles sociaux du Christ. Lui, il ne croit pas. Il m’a souvent répété que le Venezuela n’est pas Cuba et que nous n’étions pas dans les années soixante. Vous voyez, au Venezuela, il nous faut un socialisme démocratique. Castro a été un professeur pour moi, un maître. Pas en idéologie, mais en stratégie.» Chavez avouera qu’il a un faible pour John F. Kennedy, qui a su imposer des réformes importantes aux États-Unis et entendait lutter pour réduire les différences sociales entre les couches de la population. Au terme de trois jours de conversations et de va-et-vient aux côtés du président du Venezuela, les trois hommes partiront vers Cuba, non sans avoir fait promettre à Hugo Chávez de tenter l’impossible pour qu’ils obtiennent une rencontre avec le dirigeant cubain. Chávez leur promet de faire le nécessaire en téléphonant à qui de droit dès qu’ils seront partis. Pour des citoyens habitant un pays qui a démonisé à la fois Fidel Castro et Hugo Chavez, ce voyage revêt le caractère d’un véritable geste de désobéissance civile.
L’avion ne mit que quelques heures à franchir la distance séparant Caracas de La Havane. À leur arrivée les attendait le président de l’Institut cubain des arts et de l’industrie cinématographiques (ICAIC) et un de ses collègues. Sean Penn les avait déjà rencontrés tous deux lors d’un précédent voyage. Les trois Nord-américains ne disposent que de 72 heures environ avant de devoir regagner leur pays. Pour passer le temps, car ils ne savent pas encore s’ils vont pouvoir rencontrer Raúl Castro, leurs hôtes les emmènent à travers le dédale des rues de la Vieille Havane, déclaré patrimoine mondial, un véritable bijou architectural en voie d’être restauré totalement grâce à l’aide de l’UNESCO et aux idées originales d’un véritable génie, Eusebio Leal, surnommé El Historiador. Ils visiteront, entre autres, le Musée des Beaux-Arts, qui recèle plusieurs chefs-d’œuvre, dont certains furent exposés au Musée des Beaux-Arts de Montréal lors de l’exposition consacrée à l’art cubain, de janvier à juin 2008. Le lendemain, toujours dans l’attente d’un possible rendez-vous, ils rencontreront le fils de Fidel, Antonio Castro Soto del Valle, «un beau jeune homme de 39 ans, d’allure modeste, qui est le médecin de l’équipe nationale de baseball.» Vers 18 heures, alors que ses deux compagnons font la sieste dans l’appartement qu’on leur a fourni, Sean Penn reçoit enfin le OK. On vient le chercher, mais lui seulement. Pas question d’emmener ses deux compagnons. Il ne leur reste qu’une dizaine d’heures avant le départ, leurs valises sont déjà bouclées, il n’y a pas à hésiter. Et il part, presque en catimini, pour ne pas faire de jaloux. La rencontre aura lieu dans un petit bureau du gouvernement, en présence d’un traducteur. Raúl, qui a été sans aucun doute «briefé» par son grand frère, connaît assez bien la trajectoire du comédien presque cinquantenaire qui fut l’époux de Madonna pendant quatre ans. D’entrée de jeu, Raúl lui révèle qu’il a promis à son frère de lui téléphoner, après sa rencontre, pour lui faire part de la teneur de l’entretien. Car c’est un secret de polichinelle que Fidel veut être tenu au courant de tout, malgré son état de santé. Autour d’une tasse de thé, la conversation va bon train. Raúl rappelle qu’il y a exactement 46 ans, avait lieu la fameuse crise des missiles. Un an auparavant, les États-Unis avaient subi une humiliante défaite à la Baie des Cochons, aux mains d’une jeune armée inexpérimentée. Le gouvernement révolutionnaire avait reçu, quelque temps auparavant, des chars d’assaut russes, mais le mode d’utilisation ne les accompagnait pas, raconte en riant Raúl. Fidel avait alors dit à ses troupes: «Nous savons comment les faire avancer, mais nous ne savons pas comment ils peuvent reculer. Alors, nous n’avons pas le choix, il faut foncer !» Sean Penn lui demande ensuite s’il accepterait de rencontrer le président Obama, advenant sa victoire (les élections n’ont pas encore eu lieu au moment de cette rencontre), dans les premiers jours de son installation à la Maison Blanche. Raúl réfléchit un long moment avant de répondre. «Les États-Unis ont le processus électoral le plus compliqué au monde. Le lobby cubano-américain de Floride est rempli de voleurs d’élections fort expérimentés... En fait, si on ne le tue pas, Obama sera votre prochain président. Mais j’ai lu les déclarations qu’il a faites et il dit qu’il maintiendra le blocus contre notre pays.» On lui fait remarquer que Obama a parlé de blocus et non pas d’embargo. «Oui, réplique Raúl, le blocus est un acte de guerre. C’est pourquoi les États-Unis préfèrent utiliser le terme embargo. Mais Obama a aussi dit qu’il était prêt à discuter avec n’importe quel interlocuteur... » «Depuis que je suis en poste, j’ai répété à quelques reprises, dit-il, que nous étions prêts à discuter avec les États-Unis d’égal à égal. Les États-Unis sont nos voisins immédiats, nous devrions nous respecter. Nous n’avons rien contre le peuple étasunien et de bonnes relations profiteront à tout le monde. Peut-être ne pourrons-nous pas régler tous nos problèmes, mais nous pourrons à tout le moins en régler quelques-uns.»
À un moment donné, Raúl, sans doute pour donner plus de force à ce qu’il vient de dire au sujet de la bonne volonté de son gouvernement, y va d’une confidence: «Je vais te dire quelque chose que je n’ai raconté à personne. Et ça ne plaira sûrement pas à l’électorat de la Floride, ni au Pentagone qui va trouver que je commets certainement une indiscrétion. Depuis 1994, nous sommes en contact permanent avec des militaires nord-américains, en vertu d’une entente secrète. Il s’agit de discussions reliées uniquement à la base de Guantanamo. Cela a commencé en 1993, alors que les États-Unis nous ont demandé de collaborer pour localiser les bouées de navigation dans la baie de Guantanamo. C’était, en fait, le premier contact que nous avions avec les autorités nord-américaines depuis la Révolution. [...] «Puis le 9 mai 1995, nous avons décidé, d’un commun accord, de tenir des rencontres mensuelles de haut niveau avec des militaires de nos deux gouvernements. Jusqu’à aujourd’hui, il y a eu 157 réunions et leur contenu a toujours été enregistré. Elles ont lieu le troisième vendredi de chaque mois et elles se déroulent en alternance à Guantanamo et ailleurs en territoire cubain. Nos deux armées ont même mené des exercices conjoints en cas de catastrophe. Au cours de ces réunions, personne ne hausse le ton et il y a toujours un membre du Département d’État qui est présent, mais moi, je n’y participe pas.» Selon Raúl, la base de Guantanamo est comme un otage. En tant que dirigeant du pays, il se doit de demander sa restitution, mais comme militaire, il préfère qu’elle demeure telle quelle. Et il précise que si envahir l’Irak avait été un jeu d’enfant pour les États-Unis, il n’en serait pas de même avec Cuba. Mais prévenir une guerre équivaut à la gagner, telle est notre devise, conclut-il. Sean Penn revient à sa question au sujet d’une possible rencontre avec Obama. Raul répond qu’il serait intéressé, mais celle-ci devrait se dérouler en territoire neutre, c’est-à-dire à Guantanamo! Et quel serait le premier sujet à aborder? La normalisation du commerce, répond tout de go le dirigeant cubain. La seule raison du blocus, c’est de nous faire mal. Mais ils ne viendront jamais à bout de notre Révolution. Notre souveraineté n’est pas négociable. Laissons donc les Cubains qui vivent chez vous venir visiter leurs familles ici, laissons les Étasuniens venir à Cuba,s’ils le désirent. Et à la fin de la réunion, après avoir réussi à résoudre certains problèmes, nous pourrions remettre en cadeau au président Obama le drapeau des États-Unis, celui qui flotte sur la base de Guantanamo ! Après être passé à table, Raúl confie qu’il a confiance dans le futur. On a découvert récemment de nouveaux gisements pétroliers et gaziers le long des côtes cubaines et les compagnies étasuniennes pourraient fort bien y trouver leur compte si cela était possible. Ces réserves immenses ont été confirmées par le US Geological Survey. Et d’ajouter Raul: «Nous avons autant de patience que les Chinois en ont.» À la fin de la rencontre, Sean Penn le questionne sur les allégations de violation des droits de la personne à Cuba. «Il y aurait environ 200 prisonniers politiques à Cuba, selon l’organisme Human Rights Watch », ajoute-t-il. L’acteur nord-américain précise que pendant qu’il attend la réponse du président cubain, il ne peut s’empêcher de penser à la proximité de la prison nord-américaine de Guantanamo où des crimes horribles ont été commis. «Aucun pays n’est à l’abri à 100% des abus contre les droits de la personne, affirme Raúl. Mais nous savons fort bien que les médias des États-Unis exagèrent et mentent effrontément à ce sujet.» De fait, il existe de nombreuses organisations, aux États-Unis, qui accusent le Bureau des intérêts nord-américains à La Havane d’entretenir de telles rumeurs et d’inciter à la désobéissance. Cela s’appelle de l’ingérence. «On peut tenir à ses idées sans se croire obligé de dire à l’autre ce qu’il doit faire chez lui», conclut-il. Mine de rien, la conversation avait duré 7 heures. Il était maintenant temps pour l’acteur étasunien de retourner auprès de ses deux amis, qui devaient être inquiets, et de rentrer au bercail. Il ne peut s’empêcher de penser qu’une simple question de souveraineté permet de saisir la complexité des rapports antagoniques que les États-Unis entretiennent à l’égard du Venezuela et de Cuba. «En fait, se dit-il, ces deux pays, le Venezuela et Cuba, n’ont jamais eu que deux choix: être de notre côté avec leurs imperfections ou être eux-mêmes, avec leurs imperfections... » Lorsque Sean Penn retrouva sa femme et ses deux enfants, Barack Obama venait d’être élu président des États-Unis Jacques Lanctôt SOURCE : http://www.canoe.com/infos/chroniques/jacqueslanctot/archives/2008/12/20081211-210117.html